Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit.


... en tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par un voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche.


Désert. Le Clézio.

dimanche 11 juillet 2010

Journal du Messager combattant. (Extrait de Fenêtres) Texte mis en scène de Christian Cazals.

 Le Messager 


Arpenter les chemins de l'Orient
Surveiller les troupeaux.
Je repose la nuit au creux des buissons la tête protégée par un petit mur de pierre et quand le soleil disparaît mes yeux s'emplissent du sourire des étoiles.
La Grande Ourse, le Chariot, la Croix du Sud me racontent l'histoire des tribus, des nomades du désert.
Le vent souffle et le sable s'envole jusqu'aux sommets des montagnes arides,
alors apparaissent les visages voilés des guerriers.
Mes lèvres baisent leur front.
Depuis la nuit des temps j'arpente les chemins de l'Orient.
Me perdre au désert et boire l'eau croupie des puits abandonnés.
Me nourrir de quelques dattes séchées.
Je suis l'ermite Messager et Solitaire transporté par les nuages de locustes.
J'observe, je vais de l'un à l'autre, rarement je suis accueilli avec bienveillance,
Je ne connais pas la douceur des seins des femmes solitaires.
Ma besace est un sac de toile grise et je vais ainsi sur les chemins de l'Orient.
Depuis la nuit des temps les combattants me confient leur message
et je parcours l'immensité du pays du prophète.
Les jours de tempête je me réfugie dans les ruines des palais.
J'arrache mes pieds et mes mains sur les roches coupantes des chemins de montagne.
Les combattants me confient leurs douleurs et leurs messages d'amour.
Je suis le confident des mères et parle des enfants martyrs.
Un linge de soie me permet d'essuyer leurs yeux et la douceur de mes gestes
calme l'angoisse nocturne qui raidit leur nuque.

Je vois dans les étoiles si le guerrier survivra.
Dans cette ville en ruine j'erre nuit et jour
Je quête ma survie
L'homme de troupe me laisse passer et parfois me botte le cul pour accélérer le mouvement.

Misérable mendiant! Chien galeux!
Vivre dans la rue et dormir sur un tapis de journaux
Écouter ce qui se dit au marché et sur les avenues encombrées et bruyantes,
assister aux massacres,
voir les enfants brûler dans l'explosion des bombes artisanales,
une stature de promeneur privilégié dans l'horreur
je suis le misérable célèbre,
à chaque drame je suis là et parfois j'aide et je réconforte
je prie et je pleure avec les mères éplorées
j'embrasse les enfants
et soigne leurs plaies
je suis le messager à qui rie n'échappe
et je suis porteur des nouvelles
les bonnes comme les mauvaises celles qui font sauter de joie l'enfant
qui retrouve le père après le combat
celles qui font baisser la tête des femmes voilées de noir.

La journée a été chaude et mes pieds sont nus
aux talons écorchés.
Je me suis perdu dans les ruelles malodorantes du quartier commerçant
très loin là-bas sur le chemin de la vieille ville.
Tout près des carcasses de véhicules distordus les vieux fumaient leur pipe à eau,
assis en tailleur,
ou bien se racontaient les histoires sanglantes de ces luttes interminables
du passé et des jours à venir.
Aujourd'hui en pleine chaleur, à l'heure de la sieste, j'ai vu un enfant pénétrer chez l'épicier Ahmed.
Son petit chariot qu'il promène souvent dans les quartiers touristiques
est resté longtemps sous le soleil,
devant la porte,
dans la poussière de la rue,
puis un de nos frères est venu le chercher pour le ranger dans la resserre du magasin.

Mes yeux sont faibles brûlés par le soleil et le sable du désert,
la vieillesse du corps fait son ouvrage et sans répit la cécité s'installe.
Pourtant
le regard se pose avec insistance sur toute chose.
J'ai vu à l'heure fraîche l'enfant repartir en poussant son chariot.
Son visage était radieux, il chantait et souriait.

Il fallut beaucoup de courage à la Mère pour reconnaître son corps en charpie après l'explosion de la bombe nichée au fond du chariot sous les caisses de loukoums. 

Aucun commentaire: