Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit.


... en tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par un voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche.


Désert. Le Clézio.

lundi 9 novembre 2009

Suite de l'article transmis par Jo Carret

Le corps féminin

Le corps féminin, dans la société traditionnelle africaine, est d’abord assigné à un rôle de procréation et à ce titre, il est régi par des normes sociales. « C’est à travers le corps de la femme que la société se perpétue. Ainsi ce corps doit-il être façonné, contrôlé et marqué ». [17] Il est commun de rencontrer dans la lecture du texte d’Angèle Ntyugwetondo Rawiri, Fureurs et cris de femmes la notion de « corps ». Il se constitue en matrice de la structure sacrificielle et il se signale ensuite par la symbolique de la douleur dans ses romans, qui indiquent ce qui s’augure. Ensuite, elle trouve une place dans la narration pour s’achever dans une sorte de représentation réitérée au cœur de laquelle trop vive, la douleur explose et conduit à la réappropriation du corps. Dans Elonga d’Angèle Ntyugwetondo Rawiri, le sort organise la vie des personnages. De plus, le milieu social où échoue Igowè est un milieu fétichiste. Le milieu social s’offre comme cet obstacle majeur, dressé sur le parcours de la femme vers sa réalisation. La sorcellerie révèle l’impuissance des sujets à s’unir, à jouir d’une vie convenable. Leur vie semble comme suspendue, rompue par le sort donc la recherche d’une protection sous les traits d’une femme : « sachez que cette poupée est destinée à me protéger contre les entreprises de sorcellerie ». [18] Elle rompt avec l’existence passive précédente dont l’objectif est de rendre l’existence dynamique. Igowè la fille d’Igowo et d’Ayila, offerte en holocauste, rend l’âme victime d’un esprit malveillant, « une grosse tâche impalpable apparaissait sur son chemin ». [19] p.258. Ses parents fous de douleur veulent se venger et on entre dans un cercle vicieux d’où on ne sort pas. « Je veux voir Mboumba étendu, mort comme ma fille ». [20] La manducation du corps de la jeune Igowè prend la forme d’un rite sacrificiel qui permet à Mboumba (esprit maléfique incarné dans un homme) de renforcer son pouvoir spirituel. Dans ce cercle familial pernicieux se déploient diverses forces occultes des membres qui contrecarrent la destinée des uns ou des autres, décident de la vie ou de la mort des filles qui généralement, détiennent des pouvoirs supra-humains à exploiter. Ces pratiques s’apparentent à une conception magico-religieuse qui anime les hommes désireux d’obtenir des faveurs en contrepartie du corps féminin sacrifié comme Jephté qui offre sa fille pour que vive Israël (La Bible, Livre des juges, 11, 29-40). Après la représentation sacrificielle du corps féminin dans Elonga, le roman d’Angèle Ntyugwetondo Rawiri, Fureurs et cris de femmes s’appuie sur un support discursif qui rend l’expression de la douleur plus patente. D’ailleurs, la douleur liée à la décrépitude du corps est récurrente dans la production romanesque. Elle fait l’objet d’une attention particulière notamment lorsqu’elle sert d’élément catalyseur à la création. Ntyugwetondo Rawiri nous invite à connaître les tourments du corps féminin à travers certaines prémices indispensables afin de comprendre ce qui s’ensuivra. La stérilité au sein du couple est prise en acte, en train de se manifester et de se déployer comme venant démontrer les apports discursifs qui ont permis d’énoncer et d’annoncer la relation adultérine de l’époux d’Emilienne, Joseph qui possède une maîtresse, son « deuxième bureau avec qui il a deux enfants » [21]. Il appert que le rapprochement des corps de l’épouse, Emilienne et de la maîtresse de son mari, Dominique est au faîte de la fusion. Les gestes d’empathie d’Emilienne envers Dominique dénotent du champ sémantique de l’affection, palliatif à l’amour de l’homme. La femme se retrouve et intensifie son sentiment d’existence par l’octroi de sensations fortes. Son corps qui n’était qu’une terre de douleurs devient un arbre de plaisirs. L’affectivité nous vient du corps et peut aller au langage selon Chantal Chawaf, la « chair linguistique » [22] guide le questionnement de l’héroïne sur l’amour et met en cause le dualisme féminin/masculin. On constate seulement qu’Angèle Ntyugwetondo Rawiri transmet aux mots la culpabilité, les cris de rage et écrit ce que sa chair lui dicte. Pour remédier à sa stérilité, Emilienne va voir un guérisseur car la stérilité est considérée comme un sort parce qu’elle se dit « frappée de stérilité ». [23] Lorsqu’Emilienne parvient à ses fins, elle affirme son caractère priapique en rejetant alors son mari et la maîtresse de son mari devenue son amante. Toute l’intrigue qui a suscité l’intérêt et maintenu le lecteur en état d’effervescence maximale jusqu’au bout, est enfin dénouée. Dans cette optique, l’intrigue commande une stratégie d’écriture permettant au discours d’intensifier son potentiel attractif. L’enfant que l’héroïne désire tant occupe son esprit et les vides creusés par le manque d’amour et le cri de son corps. C’est le lieu de convergence de tous les points du récit. L’aboutissement de l’action principale plonge le récit à un stade supérieur, à un degré supplémentaire de son déploiement. Après avoir fait une auto-représentation du corps en proie à la douleur, du corps transformé par la maternité ou par la vieillesse et le corps rongé par l’angoisse de la stérilité dans une société qui contrôle la virginité, le plaisir féminin et la fertilité, le « corps-découverte »[24] est plus que présent dans le récit d’Angèle Ntyugwetondo Rawiri : « Pendant une semaine, Emilienne se laisse entrainer par ce cri nouveau de son corps qu’elle peut faire taire à volonté par les caresses qu’elle échange avec sa secrétaire dans son bureau ». (Fureurs et cris de femmes, p.116.) Cette posture explore les méandres de la conscience féminine qui s’éveille en voulant rivaliser avec l’homme. Angèle Ntyugwetondo Rawiri dresse le portrait d’Emilienne qui goûte aux plaisirs de l’adultère avec Dominique, sa secrétaire également la maîtresse de son mari, dans son bureau afin de ressentir les mêmes émotions que son mari. On mesure l’ampleur des transformations corporelles au sens où la femme découvre son corps en comblant le vide affectif et le manque sexuel, plutôt que de subir les infidélités et les rebuffades de son époux. Et on peut penser qu’Emilienne veut supplanter l’homme dans le cœur de Dominique. Par ailleurs, dans G’amàrakano, au carrefour, Angèle Ntyugwetondo Rawiri met en scène un autre type de protagonistes qui prennent les hommes comme des objets afin de favoriser leur ascension professionnelle. Toula et les personnages féminins périphériques refusent de se constituer en victimes des hommes qu’elles utilisent comme moyen d’accession à la réussite professionnelle. La mercantilisation de la relation amoureuse est l’expérience abyssale de la femme pour sortir de l’asservissement en exigeant financièrement de l’homme le maximum. « Les hommes commandent encore aux femmes. Et ça nous oblige à faire tous nos efforts, à déployer tous nos charmes pour leur être attirantes ». [25] Sa vision de l’amour vise un approfondissement de la connaissance de l’homme à travers un guide de séduction : conseils diététiques, esthétiques, attitude à adopter pour retenir l’attention, cadeaux à exiger, une fois la victime subjuguée. Pour atteindre son but, Toula ne s’embarrasse pas de scrupules, l’attrait physique ne compte pas. Ekata, la collègue et l’initiatrice de Toula définit sa relation avec les hommes comme suit : « je me contente de leur argent et de jouir de la vie tant que je peux ». [26] Cela induit, dans la trame discursive, une forme de théâtralité, faisant de l’action du roman, une mise en scène introduisant un jeu qui oppose savamment l’homme et la femme. A ce niveau, nous assimilons ce jeu au renversement des rôles dont les pérégrinations prouvent la duplicité de la femme. La réalisation des personnages féminins dépend des bases fondées au sein de leur milieu professionnel en vue de la construction d’une stratégie féminine et, entre autres, d’un possible existentiel. Le bureau apparaît comme le lieu du njembè, société secrète exclusivement féminine chez les omyene, groupe ethnique auquel appartient la romancière. Cette secte initiatique met en valeur chez l’impétrante, représentée dans le récit par Toula, tous les atouts et les pouvoirs mystiques féminins pour lui permettre de réaliser un parcours ascensionnel en séduisant son patron.

L’inscription textuelle du corps chez les romancières africaines est non seulement un désir de rompre le silence mais aussi une écriture en porte-à-faux audacieuse. La représentation du corps est insérée dans un projet esthétique personnel qui n’a aucun rapport sur le plan familial, économique ou politique. Le corps devient expression du désir féminin, création d’un espace propre de subjectivité du discours féminin. Marianne Bosshard, expliquant les rapports du corps et du verbe chez Chantal Chawaf dit qu’« il faut humaniser l’histoire humaine non par le biais d’une spiritualité détachée du corps mais par la spiritualisation et la verbalisation du corps et de la chair afin de leur rendre leur place perdue auprès de l’Esprit ». [27] Par le corps, le « je » féminin se décline sous le mode de la relation existentialiste de l’être en situation et va libérer de l’inertie, l’inconscience, la corporalité du langage refoulé. Les romancières font vivre leur chair à travers leurs écrits par une sorte de transcendance scripturale.

La valorisation de la femme africaine

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