Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit.


... en tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par un voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche.


Désert. Le Clézio.

mercredi 1 juillet 2009

Réaction au décés de Pina Bausch. Le Monde

Réagissez Classez Imprimez Envoyez Partagez OAS_AD('Top2') Partagez : Elle avait un visage de Pieta transparent, un regard bleu perçant, et elle était la chorégraphe. Dates clés 27 juillet 1940 Naissance à Solingen, en Rhénanie du Nord-Westphalie (Allemagne). 1955Intègre l'école de danse Folkwang, à Essen. 1961Engagée par le Metropolitan Opera de New York. 1974Installation à l'Opéra de Wuppertal. 30 juillet 2009Mort à Wuppertal. Sur le même sujet Portfolio La virtuosité très personnelle de Pina Bausch Entretien Georges Lavaudant : "Elle a fait naître un théâtre un peu hybride, physique et engagé" Réactions L'Allemagne pleure "une créatrice grandiose et visionnaire" Verbatim "Il y a des moments où l'on reste sans voix. C'est là que commence la danse" Portrait Pina Bausch, exercices d'admiration Portfolio Pina Bausch, artiste aux multiples facettes. Admirée dans le monde entier, cette immense artiste, épaulée par sa troupe d'une vingtaine de danseurs, dont certains l'accompagnaient depuis ses débuts, a chorégraphié plus d'une quarantaine de pièces - autant de succès. Les salles étaient toujours pleines pour Pina Bausch, qui était aussi parfois sur scène, parce que chaque fois, on se demandait ce qu'elle allait sortir de nouveau. Pina Bausch a révolutionné la danse en inventant une "danse-théâtre". Des décors féeriques ou avec des objets du quotidien, des sketches, des adresses au public qui évoquaient le théâtre, et puis des séquences de danse virtuoses, au bord du vertige. Tout cela mis ensemble avec une fougue féroce, le talent de l'alchimie, dans le but de raconter la vie en la faisant passer pour une oeuvre d'art. C'est bien en faisant de la transition un art majeur qu'elle a révolutionné les canons du spectacle : elle jette sur le plateau des corps virtuoses qui font leur numéro de danse, y ajoute des saynètes théâtrales et raconte des histoires fortes, personnelles ou qui ont marqué le temps. C'est du cabaret contemporain ou une revue chorégraphique d'un nouveau genre. Ses interprètes - hommes en costume et femmes en robe du soir (garde-robe de Marion Cito) - coursent la vie et ses émotions sur une bande-son de chants et de musiques du monde. Une image surgit. En novembre 2008, lors du festival qu'elle avait créé dix ans plus tôt à Wuppertal : après la représentation de sa virulente adaptation des Sept Pêchés capitaux (1976) sur la musique de Kurt Weill, Pina Bausch se régale d'une soupe. Régime frugal pour une femme toujours d'attaque. Elle fume une cigarette - elle avait eu la permission de fumer dans les studios de l'Opéra Garnier lors des répétitions en 2005 d'Orphée et Eurydice. Elle observe la jeune chanteuse rock Petra Magoni. Elle semble comme détachée du monde et très attentive. Pina Bausch, de son vrai prénom Philippine, est né le 27 juillet 1940 à Solingen (Allemagne), tout près de Wuppertal. Ses parents tiennent un café-restaurant. La chorégraphe raconte comment, enfant, elle passait son temps sous les tables du bistro à écouter les clients et les histoires cruelles des grandes personnes. "Il y avait tant de gens et il se passait tant de choses étranges." Ces souvenirs ont servi de matière première à l'une de ses pièces majeures, Café Müller (1978), qu'elle interprétait encore récemment. En 1955, à l'âge de 15 ans, elle intègre l'école de danse Folkwang, à Essen, dirigée par le chorégraphe Kurt Jooss. Elle en sort trois ans plus tard et part en 1959 étudier "toute seule, en bateau, sans connaître le moindre mot d'anglais" à New York. Interprète dans différentes compagnies (Paul Sanasardo, Paul Taylor, Antony Tudor), elle revient en Allemagne pour danser au Folkwang Ballet, dont elle deviendra directrice de 1969 à 1973. Elle y crée ses premières pièces comme Fragment, sur une musique de Bartok. Son installation en 1974 à l'Opéra de Wuppertal provoque scandale sur scandale. Habitué au ballet traditionnel, le public n'accepte pas cette nouvelle danse, proche du théâtre et de la vie. Il l'insulte, jette des tomates sur les danseurs. Pina Bausch reçoit des menaces au téléphone. Ses premières pièces s'attaquent à de grandes partitions musicales pour en extraire une vision souvent âpre. Iphigénie en Tauride sur la musique de Gluck (1974), puis Orphée et Eurydice (1975), toujours à partir de Gluck, ou encore Barbe-Bleue sur la partition de Béla Bartok. En 1975, elle met en scène Le Sacre du printemps sur la musique de Stravinsky. Cette pièce féroce jette le clan des hommes contre celui des femmes. Ce thème passé au crible de générations de danseurs reste le motif principal de toute l'oeuvre de Pina Bausch. Le début des années 1990 marque un tournant. Pina Bausch délaisse sa veine sombre, cruelle, pour explorer une certaine légèreté. Elle profite de ses tournées internationales pour s'installer en résidence dans les grandes capitales et mettre en scène ces villes fantasmées. Palerme est au coeur de Palermo, Palermo (1989), Istanbul donne vie à Nefes (2003), Séoul sert de cadre à Rough Cut (2005). S'imprégnant de la vie quotidienne, de ses rencontres, Pina Bausch retranscrit ces rapports de proximité tissés à même la fibre populaire et intellectuelle de chaque endroit. Les solos de danseurs au coeur des spectacles deviennent sa marque chorégraphique. Inventifs en diable, ciselés, leur furieuse beauté exalte le tempérament des danseurs au point qu'on les croirait en train de jouer leur peau chaque soir. On se souvient de Dominique Mercy, interprète et pilier de la compagnie depuis le début des années 1970, se propulsant pied au plancher dans l'espace à grands moulinets de bras dans Pour les enfants d'hier, d'aujourd'hui et de demain (2002). On se souvient encore d'Helena Pikon dans Vollmond (2006), le corps renversé, faisant juter du citron sur ses bras en déclarant "qu'elle est un peu amère". La méthode de travail Pina, fondée sur l'improvisation des danseurs, leur vécu, a fait le tour de la planète. Elle délivre des consignes ou des thèmes aux interprètes, qui lui présentent ensuite le résultat, théâtral ou chorégraphique, de leur recherche. Exemples de consignes : "Tendre un piège à quelqu'un", "Pourquoi se donne-t-on tant de mal ?", "Imaginer des jeux pour chasser la peur"... Quant à ses scénographies et décors, ils restent inégalés. D'abord imaginés avec Rolf Borzik, son compagnon décédé en 1980, puis avec Peter Pabst, ils subliment des éléments naturels : montagne de fleurs rouges pour Le Laveur de vitres (1997) ; falaise de mousse dégoulinant d'eau pour évoquer Budapest dans Wiesenland (2000)... Pina Bausch inscrit au creux de ces paysages factices un rêve de vie. A Paris, le Théâtre de la Ville était depuis 1979 la maison de Pina Bausch - elle y a présenté plus de trente spectacles. Au milieu des spectateurs, elle ne ratait aucune représentation. "C'est la fin d'un monde, confie Gérard Violette, ancien directeur de ce théâtre. Lorsqu'elle venait saluer, elle connaissait une minute de bonheur. Sinon, c'était une femme douloureuse. Elle a influencé tout le monde mais ne laisse aucun héritier." "C'était non seulement une grande chorégraphe mais aussi une très belle personne", confie son ami Bartabas, qui a beaucoup travaillé avec elle. Elle qui réalisa un film, La Plainte de l'impératrice (1989), tourna aussi avec Federico Fellini dans E la nave va (1982). Il la décrivait ainsi : "Avec son air aristocratique, tendre et cruel à la fois, mystérieux et familier, Pina Bausch me souriait pour se faire connaître. Une religieuse qui mange une glace, une sainte en patins à roulettes, une allure de reine en exil, de fondatrice d'un ordre religieux, de juge d'un tribunal métaphysique, qui soudainement te fait un clin d'oeil." Sa dernière pièce, au Théâtre de la Ville en janvier, Sweet Mambo, possédait le goût des adieux. Les danseurs disaient leur nom en répétant "N'oubliez pas, n'oubliez pas". Rosita Boisseau Article paru dans l'édition du 02.07.09. Abonnez-vous au Monde à 16€/mois

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