L'air est l'eau du temps et celle du regard.
D'ordinaire, il reste invisible,
car on ne cherche à photographier que l'instant,
et l'instant renvoie seulement à une anecdote.
La photo de Sarah Moon ne sert plus ( enfin ) à retenir le temps: elle le met dedans,
et l'image dès lors renvoie à elle-même.
Ainsi, de photo en photo, un récit objectif s'écrit,
où chaque posture est un signe
et non point une béquille pour la mémoire.
Quel est le lieu de ce récit?
Nulle part,
car nulle part est justement l'endroit où tout est dans l'air -
l'endroit où le regard se réfléchit lui-même à l'intérieur de la vue
de telle sorte que visages, gestes et choses y restent pris,
comme si alentour l'air avait gelé.
Nulle part, c'est-à-dire bien au delà de l'habituelle mémoire,
vivent entre elles
des femmes aux gestes comme des cris lents.
Qui les regarde voit déjà le souvenir de son souvenir
à travers une buée de solitude
ou bien d'attente,
et cependant parmi toute la tendresse du monde
et sa douceur.
L'écriture qui produit ces images a ce pouvoir
que l'intensité de la signification
s'y double toujours de celle de la sensibilité
et, entre l'aigu et le précis, la beauté s'y lève vers le fond de l'air,
à perte de vue.
La définition, disait à peu près Paul Valéry,
la définition de la beauté est facile:
elle est ce qui désespère.
Bernard NOËL.
texte transcrit par Christian Cazals pour une jeune photographe et en souvenir de mon fils Marck, photographe journaliste(dcd)
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