Avant de rencontrer l'absurde, l'homme quotidien vit avec des buts, un souci d'avenir ou de justification ( à l'égard de qui ou de quoi, ce n'est pas la question ). Il évalue ses chances, il compte sur le plus tard, sur sa retraite ou le travail de ses fils. Il croit encore que quelque chose dans sa vie peut se diriger. Au vrai, il agit comme s'il était libre, même si tous les faits se chargent de contredire cette liberté. Après l'absurde, tout se trouve ébranlé. Cette idée que " je suis ", ma façon d'agir comme si tout à un sens ( même, si, à l'occasion, je disais que rien n'en a), tout cela se trouve démenti d'une façon vertigineuse par l'absurdité d'une mort possible. Penser au lendemain, se fixer un but, avoir des préférences, tout cela suppose la croyance à la liberté, même si l'on s'assure parfois de ne pas la ressentir. Mais à ce moment, cette liberté supérieure, cette liberté d'être qui seule peut fonder une vérité, je sais bien alors qu'elle n'est pas. La mort est là comme seule réalité. Après elle, les jeux sont faits.
A. CAMUS Le mythe de Sisyphe
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